Grand divertissement
RÉCIT de Tristan
Je marchais à vive allure vers le bout de la rue. Sans mon redoutable harnachement de poney, je me sentais terriblement nu et vulnérable, et je m’attendais, d’une seconde à l’autre, à cette secousse dans les rênes, comme si je les portais encore. À cet instant, les voitures, ornées de lanternes, nous dépassaient dans un grand fracas, les esclaves frappaient le sol de leurs fers, à toute vitesse, la tête haute, exactement le même port de tête que moi tout à l’heure. Qu’est-ce que je préférais ? Être harnaché ? Pas harnaché ? Je n’en savais rien ! Je ne connaissais que la peur et le désir, et cette conscience absolue que l’élégant Maître Nicolas, mon Maître, qui était plus strict que bien d’autres Maîtres, était en train de marcher derrière moi.
De nouveau, la route fut baignée d’une lumière éclatante. Nous arrivions au bout du village. Mais, tandis que je contournais le dernier des édifices qui s’élevaient sur ma gauche, je vis non pas la place du marché, mais une autre place à ciel ouvert, partout piquée de flambeaux et de lanternes, où se pressait une foule immense. Je pouvais sentir flotter dans l’air l’odeur du vin et percevoir des éclats de rire avinés. Des couples dansaient en se donnant le bras, et des marchands de vin, des outres pleines sur leurs épaules, fendaient la foule en proposant un verre à tous les nouveaux arrivants.
Subitement, mon Maître s’arrêta pour donner une pièce à l’un de ces marchands, et il tint la coupe devant moi pour me donner ce vin à laper. Devant la bonté de ce geste, je rougis jusqu’à la racine des cheveux, et je bus le vin avec avidité, aussi proprement que je le pus. J’avais la gorge en feu.
Et, lorsque je relevai les yeux, je vis clairement que nous étions sur une sorte de champ de foire aux châtiments. C’était certainement là ce que le commissaire de la vente aux enchères avait appelé la Place des Châtiments Publics.
D’un côté, sur une longue rangée, des esclaves étaient attachés à des piloris ; d’autres étaient attachés sous des tentes mal éclairées, et l’entrée de ces tentes était ouverte aux gens du village, moyennant une pièce versée à un gardien posté là. D’autres esclaves, attachés eux aussi, couraient en cercle autour d’un grand mât de cocagne, et quatre préposés au battoir leur administraient leur punition. Çà et là, un couple d’esclaves se précipitaient dans la poussière pour récupérer un objet qu’on venait de lancer devant eux, sous les encouragements de jeunes gens et de jeunes femmes : à l’évidence, ils avaient misé sur celui qu’ils espéraient voir l’emporter. Contre les remparts, tout au bout, sur la droite, des roues géantes tournaient lentement, et des esclaves ligotés tournaient avec elle, dont les cuisses et les derrières enflammés servaient de cible aux trognons de pommes, aux noyaux de pêches et même aux œufs frais que la foule lançait sur eux, tandis que plusieurs autres esclaves avançaient en clopinant, accroupis derrière leurs Maîtres, le cou attaché par deux courtes chaînes de cuir à leurs genoux écartés. Au bout de leurs bras tendus, ils tenaient de longs piquets, avec des corbeilles de pommes à vendre qui se balançaient à leur extrémité. Deux petites Princesses à la peau rose, aux seins lourds, luisantes de sueur, montaient des chevaux de bois avec de sauvages mouvements de bascule, le vagin évidemment empalé sur un dard de bois. Abasourdi, je contemplai ce spectacle, et mon Maître me faisait aller désormais d’un pas lent, car lui-même prenait le temps de parcourir la foire du regard ; alors, une Princesse, qui tendait à la foule son visage écarlate sous l’orgasme, fut, comme de juste, proclamée vainqueur du concours par acclamation. L’autre esclave reçut le battoir, fut corrigée et essuya les réprimandes de ceux qui avaient misé sur elle.
Mais le grand divertissement, c’était cette roue très haute sur laquelle un esclave se faisait rosser à coups de battoir, un long instrument gainé de cuir. Cette vision m’accabla. Je me souvenais des paroles de ma Maîtresse, quand elle m’avait menacé du supplice de la Roue en Public.
Et voici que, d’une main ferme, on me forçait à m’y rendre. Nous nous frayâmes un passage à travers cette mer de spectateurs qui beuglaient, poussaient des cris de triomphe, se pressaient en cercles concentriques jusqu’à une quinzaine de mètres environ de l’estrade du supplice. L’on nous menait tout droit vers les esclaves agenouillés, les mains derrière la nuque, copieusement admonestés par l’assistance et qui, à l’évidence, attendaient au pied des marches de bois d’être montés là-haut et de s’y faire donner le battoir.
Comme je regardais fixement ce spectacle, incrédule, mon Maître me contraignit à prendre place directement au bout de la file. On passa des pièces de monnaie à un surveillant. On me poussa pour que je me mette à genoux ; j’étais incapable de dissimuler ma peur, et aussitôt les larmes me piquèrent les yeux, et je tremblai de toute ma carcasse. Qu’avais-je fait ? Des dizaines de figures rondes se tournèrent vers moi. Je pouvais entendre leurs sarcasmes :
— Oh, mais alors, l’esclave du château se trouverait-il trop bon pour la Roue en Place Publique ? Regardez-moi cette queue de coq.
— Est-ce que ce coq est un vilain oiseau ?
— Pourquoi c’est qu’on l’a fouetté, Maître Nicolas ?
— Pour son beau plumage, répondit mon Maître avec une légère note d’humour noir.
Je regardai en direction de l’escalier et de la haute estrade, pétrifié. Mais je ne pouvais pour ainsi dire rien voir, si ce n’est, comme je m’agenouillai, les premières marches. Où que je tourne le regard, j’étais entouré d’une foule d’une vingtaine ou d’une trentaine d’individus. La réponse que venait de faire mon Maître provoqua une explosion de rires. La lumière des torches lançait des reflets sur les joues moites et les yeux humides des spectateurs. L’esclave qui se trouvait juste devant moi s’avança avec effort, pendant que l’on en obligeait un autre à escalader précipitamment les marches. De quelque part sur la place s’éleva un roulement de tambour fracassant puis un regain de cris jaillit de la foule. Dans tous mes états, je fis un demi-tour pour me retrouver face à mon Maître. Je me jetai à ses pieds pour lui baiser les bottes. La foule me montra du doigt en éclatant de rire.
— Pauvre Prince, il est désespéré, se moqua un homme.
— Ta jolie baignoire parfumée du château, elle te manque ?
— Est-ce que la Reine t’a donné du battoir sur ses genoux ?
— Regardez-moi cette queue, cette queue-là mérite bien un bon Maître et une bonne Maîtresse.
Je sentis une main ferme m’empoigner par les cheveux et me lever la tête, et puis, à travers mes larmes, je vis au-dessus de moi ce visage élégant, lisse, à l’expression un peu dure. Les yeux bleus se rétrécirent très lentement, leurs sombres pupilles parurent se dilater, la main droite levée, il remuait son index tendu, de gauche à droite, et ses lèvres formèrent en silence le mot « non ». J’en perdis le souffle. Ses yeux se firent immobiles et froids comme la pierre, et sa main gauche me relâcha. Je retournai dans la file, de mon propre gré, les mains croisées derrière la nuque, encore tout tremblant, et quand la foule y alla de ses « ooooh » et de ses « aïe, aïe, aïe » en signe de compassion moqueuse, j’encaissai.
— Voilà un bon garçon, me hurla un homme dans l’oreille. Tu ne veux pas décevoir cette foule, allons, pas vrai ? (Je sentis sa botte me tâter le derrière.) Je parie dix sous qu’il nous fait le meilleur numéro de la soirée.
— Et qui c’est qui va juger de ça ? lança un autre.
— Dix sous qu’il remue le derrière pour de vrai !
Il me sembla s’être écoulé une éternité avant que l’esclave suivant ne monte à son tour, et puis un autre après lui, et encore un, et finalement je fus le dernier à m’avancer péniblement dans la poussière, ruisselant de sueur, les genoux en feu, et la tête qui me tournait Même à cet instant, je ne cessai pas de croire que, d’une manière ou d’une autre, il faudrait bien que l’on vienne à mon secours. Il faudrait bien que mon Maître ait pitié, qu’il change d’avis, qu’il comprenne que je n’avais rien fait pour mériter cela. Il fallait qu’il arrive quelque chose, parce que je ne pouvais endurer cela.
La foule remuait, poussait. La Princesse qui recevait le battoir là-haut poussa un hurlement perçant, j’entendis le tonnerre de ses pieds sur la roue, et de grands cris s’élevèrent de la foule. Je fus pris d’une impulsion subite, me lever, m’enfuir en courant, mais je ne fis pas un geste, et le vacarme de la place parut enfler, enfler encore, sous l’effet d’un nouveau roulement de tambour. La séance de battoir touchait à sa fin et j’étais le prochain. Deux surveillants me précipitèrent en haut des marches, alors même que je me rebellais de toute mon âme, et j’entendis le ferme commandement de mon Maître :
— Sans entraves.
Sans entraves. Ainsi, le choix s’était présenté. Il s’en fallut de peu que je ne me défende avec acharnement Oh, je vous en prie, ayez pitié, entravez-moi. Mais c’est avec horreur que je me vis tendre le cou et, de mon propre chef, placer le menton sur le haut support de bois, écarter les genoux, croiser les mains dans le dos. C’est à peine si les mains brutales de mes surveillants avaient eu à me guider dans mes gestes.
Puis je fus seul. Aucune main ne me touchait plus. Mes genoux n’étaient calés que par les dentelures creusées peu profondément dans le bois. Entre moi et ces milliers de paires d’yeux, rien d’autre que le mince montant de bois où reposait mon menton. Ma poitrine et mon ventre se contractaient sous des vagues de spasmes.
La roue fut lancée à toute vitesse à coups de manivelle, et je vis la silhouette imposante du Maître du Fouet, avec sa chevelure hirsute, les manches roulées au-dessus des coudes, le battoir géant dans sa main droite de mammouth, tandis que, de la main gauche, il piochait au creux de la paume une crème couleur miel dans un baquet de bois.
— Ah, laissez-moi deviner ! hurla-t-il. Celui-là, c’est un petit bonhomme qui nous arrive tout frais du château et qui n’a encore jamais reçu le battoir par ici ! Doux et rose, un vrai cochon de lait, s’il n’y avait pas ces cheveux blonds et ces jambes de costaud. Bon, alors, jeune homme, êtes-vous décidé à offrir un beau spectacle à tous ces gens ?
Il fit pivoter de nouveau la roue d’un demi-tour et m’appliqua sommairement cette crème grasse sur le derrière, en la faisant bien pénétrer, alors que la foule lui rappelait à grands cris qu’il allait lui en falloir beaucoup. Les tambours partirent d’un roulement rauque à vous faire froid dans le dos. Je vis la place entière étalée devant moi, des centaines de villageois, bouche bée, avides. Et ces pauvres malheureux qui tournaient en rond autour du mât de cocagne, et les esclaves mis au pilori, pinces, houspillés, qui se débattaient, et d’autres esclaves encore, suspendus la tête en bas, à un manège de fer que l’on actionnait lentement à la manivelle, et puis moi, que l’on faisait lentement tourner, en un cercle implacable.
Massées sous l’épaisse couche de crème, mes fesses se mirent à me chauffer, puis ce fut comme si elles mijotaient à feu doux. Et j’étais agenouillé, là, sans entraves ! Soudain, les flambeaux m’aveuglèrent tellement que je clignai des yeux.
— Vous m’avez entendu, jeune homme, reprit la voix tonnante du Maître du Fouet.
Je me retrouvai de nouveau face à lui, et il s’essuya la main pour la sécher sur son tablier souillé de taches. Après quoi, il tendit le bras et me saisit le menton dans le creux de la main, me pinça les joues en me remuant la tête d’avant en arrière.
— Et maintenant vous allez donner un bon spectacle à tous ces gens ! fit-il de sa voix forte. Vous m’entendez, jeune homme ? Et savez-vous pourquoi vous allez leur donner un bon spectacle ? Parce que je vous rosserai votre joli derrière jusqu’à ce que vous vous décidiez ! (Et la foule partit d’un rire pointu et railleur.) Vous allez me remuer ce ravissant postérieur, jeune esclave, comme jamais vous ne l’avez remué. C’est la Roue, ici, et en Place Publique, s’il vous plaît !
D’un coup sec sur la pédale, il donna un autre tour de roue, le grand battoir rectangulaire me claqua les fesses avec un craquement fracassant, et c’est non sans mal que je réussis à conserver mon équilibre.
Lorsque je me remis à tournoyer, la foule lâcha un beuglement jovial, et le deuxième coup s’abattit, et puis encore un tour de roue, et un autre, et un autre encore. Je serrais les dents pour contenir mes cris, la douleur brûlante irradiait depuis mes fesses jusque dans ma queue. J’entendais les sarcasmes : « Plus fort », « Flanquez-lui sa dégelée, à cet esclave », et puis : « Besognez-le, cet arrière-train », « Pompez-lui le dard ». Et je compris que je n’obéissais pas à ces commandements de façon délibérée, mais avec l’énergie du désespoir, en me tortillant sous chaque coup, ces coups assourdissants qui me soulevaient comme un forcené de la roue d’où je m’efforçais de ne pas glisser afin de rester bien en place.
J’essayais de fermer les yeux, mais, sous chacun de ces coups, ils se rouvraient tout grands, et de ma bouche béante jaillissaient des cris incontrôlables. Le battoir me fessait d’un coté puis, de l'autre, il me faisait presque basculer d’abord, pour ensuite me remettre d’aplomb, et malgré tout je sentais mon dard affamé qui, par saccades, se redressait, palpitait de désir sous chaque coup, et des éclairs de douleur me traversaient le crâne comme des explosions de feu.
La place se brouillait en une myriade de couleurs et de formes. Mon corps, pris dans ce tourbillon de fessées brutales, me donnait l’impression de flotter hors de lui-même. Je ne parvenais plus à lutter pour conserver l’équilibre, et cependant le battoir ne me permettait ni de glisser ni de tomber ; jamais je n’avais été confronté à une situation aussi périlleuse. Et j’étais emporté par la vitesse des tours, j’éprouvais la chaleur et la force du battoir, mes cris éclataient, des cris brefs, déchirants, et la foule applaudissait, hurlait, scandait.
Toutes les images de la journée se fondirent dans ma cervelle, l’étrange discours de Gérard, la Maîtresse qui enfonçait le phallus dans mes fesses écartées – et pourtant la seule chose à laquelle je pensais distinctement, c’était le claquement du battoir et les rires de la foule qui semblaient s’écouler de la roue pour l’éternité.
— Faites-moi sauter ces hanches ! cria le Maître du Fouet, et sans réfléchir, sans volonté, j’obéis, subjugué par la force du commandement, par la force de la volonté de la populace, et je dandinai sauvagement des hanches, sous les vivats enroués des braillards. Le battoir claquait ma fesse gauche puis ma fesse droite lâchait la foudre sur mes cuisses, et puis de nouveau sur mes fesses.
J’étais perdu comme jamais je n’avais été perdu. J’étais noyé par les hurlements et les huées, noyé de lumière, noyé de douleur. Je n’étais plus que marbrures brûlantes, chair enflée, je n’étais plus que la verge dure d’une queue secouée de vains soubresauts devant les cris de la multitude, et le battoir cognait, encore et sans relâche, et mes propres cris rivalisaient avec le bruit de l’instrument. Rien, au château, n’avait noyé mon âme de la sorte. Rien ne m’avait flétri, rien ne m’avait vidé de la sorte.
J’étais précipité dans les profondeurs du village, abandonné là. Et, soudain, que cette multitude soit le témoin de cet avilissement délirant me procura une volupté, une horrible volupté. Si je devais perdre ma fierté, ma volonté, mon âme, il était naturel qu’ils s’en délectent Et il était non moins naturel que les centaines de badauds grouillant sur cette place ne s’en aperçoivent pas.
Oui, le poney qui avait tiré la voiture, l’objet suant, larmoyant, publiquement ridiculisé, cette masse protubérante et nue d’appareils génitaux, de muscles endoloris, cette chose, c’était moi. Et ils pouvaient y prendre plaisir ou l’ignorer, tout à loisir, à leur guise.
Le Maître du Fouet recula d’un pas. Il ne cessait plus de faire tournoyer la roue, sans relâche. J’avais les fesses bouillantes, la bouche ouverte, agitée de tremblements, et je vomissais des hurlements, plus forts que jamais.
— Placez-moi ces mains derrière les jambes, et protégez-vous les couilles ! rugit le Maître du Fouet. Hébété, dans un geste d’ultime dégradation, le menton toujours bien calé, j’obtempérai en me voûtant pour me protéger les couilles, ce qui fit rire et trépigner la foule de plus belle. Soudain, je vis une pluie d’objets voler dans les airs. Je fus bombardé de pommes à demi croquées, de quignons de pain, et de fragiles coquilles d’œufs crus qui explosaient contre mon derrière, dans mon dos, contre mes épaules. Les yeux grands ouverts sous cette grêle qui continuait de tomber, je sentais de cuisantes morsures sur mes joues, sous la plante de mes pieds nus. Même mon pénis était atteint par les projectiles, ce qui soulevait des rires perçants, des rires de crécelle.
Et puis ce fut ensuite une pluie de pièces qui vint frapper les planches de l’estrade. Le Maître du Fouet hurlait :
— Eh bien, vous voyez, c’était réussi, alors, encore ! Encore ! Si vous rachetez les coups de fouet de l’esclave, le Maître vous le redonnera en pâture d’autant plus tôt !
Je vis alors un jeune garçon, en proie à la plus grande impatience, s’affairer précipitamment en décrivant des cercles autour de moi pour récolter cette pluie de pièces. L’argent fut versé dans un petit sac lacé par un cordon. On m’empoigna les cheveux pour me soulever la tête, on fourra le sac dans ma bouche ouverte et haletante, et un gémissement stupéfié m’échappa. Des applaudissements retentirent de toutes parts, des cris : « Bon garçon ! » Et des questions faites pour me titiller : est-ce que le battoir m’avait plu ? Est-ce que j’en redemanderai demain soir ?
On me releva en m’arrachant à mon appareil de supplice et on me précipita au bas des marches de bois, on m’éloigna au pas de charge de l’illumination des flambeaux et de la roue. On me jeta en avant, à quatre pattes, on me conduisit à travers la foule, jusqu’au moment où je vis les bottes de mon Maître. Levant les yeux, j’aperçus sa silhouette languide appuyée contre le comptoir en bois d’une petite échoppe de vin. Il me considéra du regard sans un sourire, sans un mot. Il me retira le petit sac de la bouche, le soupesa dans sa main droite, le mit de côté et garda le regard posé sur moi.
J’inclinai la tête. Je la couchai dans la poussière et sentis mes mains glisser sous moi, se dérober au poids de mon corps. J’étais incapable de bouger, mais, Dieu merci, aucun ordre ne tomba pour m’enjoindre de me lever. Et le brouhaha de la place se fondit en un bruit unique, et ce bruit fut presque du silence.
Mais je sentis les mains de mon Maître, ses mains douces, les mains d’un gentilhomme, me soulever. Je vis devant moi une espèce de cabine de bain en plein air où un homme attendait, avec une brosse et un baquet, de ceux dont on se sert d’ordinaire pour lessiver par terre. On me conduisit dans cette direction avec grande fermeté, et je fus confié à cet homme qui, laissant là sa coupe de vin, accepta non sans gratitude une pièce que lui remit mon Maître. Après quoi, il tendit le bras vers moi et me força a m’accroupir au-dessus du baquet fumant.
Fût-il survenu à n’importe quel autre moment, au cours des mois écoulés, ce vulgaire bain public en lisière d’une foule indifférente eût été une chose indicible. Or, en cet instant, tout cela ne fut que volupté. J’avais à peine conscience de l’eau chaude que l’on versait sur mes contusions, qui se consumaient comme la braise sous la cendre ; de cette eau qui emportait avec elle le jaune collant de l’œuf et la poussière qui y restaient collés ; de ma queue et de mes couilles que l’on fit bien tremper, et qui furent ointes, même si ce fut bien trop bref pour soulager l’odieux appétit qui les tenaillait.
Mon anus fut soigneusement lubrifié. C’est à peine si je remarquai les doigts qui s’y introduisaient et en ressortaient, et, en même temps, j’avais la sensation d’éprouver encore la forme du phallus qui me pénétrait. On me frotta les cheveux pour me les sécher, puis on me coiffa. Ma toison pubienne fut brossée, et même les poils, entre mes fesses frémissantes qui me cuisaient, furent lissés, séparés à gauche et à droite par une raie. Tout cela fut si rondement mené qu’en l’espace de quelques instants je me retrouvai agenouillé de nouveau devant mon Maître, pour recevoir son ordre, qui était que je le précède sur la route qui longeait les remparts.